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Olivier Barbarant

Une nouvelle biographie d'Aragon ?


L'essayiste Philippe Forest propose à son tour, peu de temps après le remarquable travail de Pierre Juquin, une biographie d'Aragon savante mais politiquement convenue.

Longtemps Aragon n'eut droit qu'à une biographie : celle de Pierre Daix, publiée en 1974, du vivant du poète. Les mises à jour apportées au fil des années ne suffirent pas à modifier une perspec­tive qui était celle du témoin. En 2012 et 2013, la publication des deux volumes du remarquable Aragon, un destin français de Pierre Juquin a permis de combler ce manque. Et voilà qu'à peine a-t-on eu le temps de s'approprier leur leçon que les éditions Gallimard font pa­raître à leur tour un Aragon ! Une vie d'une telle richesse mérite enfin plusieurs approches.

Celle de Philippe Forest a la particularité d'être la pre­mière écrite par quelqu'un qui n'a pas connu Aragon de son vivant. Universitaire, il a posé le pied sur le continent Aragon au fil d'une carrière l'ayant d'abord porté vers les avant-gardes, notamment l'histoire de Tel Quel. Philippe Forest ap­partient ainsi à « l'ère du soupçon » : « Je me méfie de la mémoire », avance-t-il au seuil du livre. Ce n'est pas le moindre-intérêt de son récit que d'être en même temps un essai vigilant sur les leurres du récit bio­graphique. Il est beau qu'il s'interdise en dernière page tout rassurant bouclage, respectant la

« vie en miettes » qu'Aragon figura dans l'immense collage auquel il procéda sur les murs de son domicile ; « D'Aragon il n'y a pas d'autre portrait à espérer, à désirer que celui-là, où se multiplient les images, si bien qu'il appartient à ceux qui le contemplent de méditer inter­minablement sur le foisonnement de reflets qu'il offre sans fin au regard. ». Pour orienter dans ce labyrinthe, Philippe Forest prend en compte la totalité des re­cherches qui ont permis depuis une trentaine d'années de préciser et quelquefois de modifier les connaissances, avec une telle fidélité qu'on pourrait lui reprocher quelquefois l'absence de guillemets. Nourri de ces travaux et de témoignages, l'un des apports concerne le grand âge d'Aragon, période qui, écrit-il très justement, « n'est pas moins digne et moins magnifique » que « toutes celles qui précédèrent ». On s'étonne alors que le juste qualificatif de « pathé­tique » la concernant soit doublé d'un plus douteux « pitoyable ». On ne peut guère prendre en défaut l'érudition de Philippe Forest que sur quelques broutilles : la da­tation d'un poème qu'il donne de 1928 quand il est refabriqué ultérieurement, ou le (trop) fameux chapitre supprimé d'un récent essai consacré à Aragon, dont il écrit que « personne n'en conteste le caractère véridique », ce qui n'est pas exact. Plus fondamentale­ment, il affirme qu'Aragon n'aurait « rompu le silence » sur son enfance truquée que la

« soixantaine passée », en ne s'appuyant que sur la nouvelle le Mentir-vrai quand les poèmes du Domaine privé disent explicitement dès janvier-février 1943 le

« mensonge » d'appeler « sœur » une mère à qui l'on n'a jamais dit

« maman ». Le même tropisme romanesque lui fait voir l'angoisse de la mort de l'aimée « parti­culièrement dans la Mise à mort et dans Blanche ou l'oubli », en oubliant les Chambres, poème qui constitue tout entier ce déchirant adieu.

La difficulté majeure d'écrire une telle vie

À chacun son Aragon : les préférences de Philippe Forest vont à Théâtre /Roman,

« sommet de l'œuvre romanesque », au risque que l'insistance sur les textes les plus vertigineux et délaissés du grand public ne finisse par tordre le bâton dans l'autre sens, et dédaigner un peu une littérature qui ne serait pas encore « émancipée du joug apparent de la propagande » - formu­lation qui ne répond pas exactement au génie d'Aragon, même dans les périodes les plus contraintes de sa création. On touche alors à la difficulté majeure d'écrire une telle vie, où le littéraire et le politique sont inextricablement mêlés. Le biographe déclare un peu vite qu'Aragon fut « un stalinien exemplaire », avant d'y revenir sous forme interrogative un peu plus loin. « Comme on ne le sait que trop, l'Histoire est écrite par les vainqueurs et conformément aux intérêts qui ont assuré leur victoire », prévient pourtant Philippe Forest. Mais il ne tire que peu de conséquences de ce bel avertissement. Certes, des faits bien établis contribueront dans son livre à tordre le cou à des idées reçues : il rappelle combien l'entrée en communisme de sa jeunesse ne pouvait relever de l'opportunisme ; il ne manque pas de corriger les mauvaises lé­gendes entourant Elsa Triolet. Il est pourtant frappant qu'une fréquentation assidue d'Aragon ne l'ait pas conduit à déplacer quelques-unes des catégories dans les­quelles est pensée d'ordinaire l'histoire des années 1950 et 1960. Gageons d'ailleurs que partout la réception de ce livre vantera 1' « équilibre » d'un jugement qui parle parfois de « circonstances atténuantes », cite à décharge le génie, mais qui ne quitte jamais tout à fait le prétoire.

OLIVIER BARBARANT,

POÈTE ET-DIRECTEUR DE LA PUBLICATION

DE LA PLÉIADE ARAGON

« ŒUVRES POÉTIQUES COMPLÈTES »


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