Une fine et rigoureuse « Chronologie » récemment parue, que l'on doit à Georges Aillaud, apporte une pierre originale à la connaissance biographique, littéraire et politique du couple. Suivant pas à pas les actes comme les écrits d'Elsa et de Louis -traités à égalité - en temps de Résistance, c'est comme un journal de bord de leur parcours qui s'offre au plaisir de la découverte.
Décidément, le feu allumé par Aragon ne cesse de s'étendre ! Il y avait eu les chronologies établies par Daniel Bougnoux et Olivier Barbarant pour leurs éditions dans « la Pléiade »
(« Œuvres romanesques complètes » et « Œuvres poétiques complètes », Gallimard), bientôt suivies par la passionnante biographie écrite par Pierre Juquin (« Aragon, un destin français », La Martinière). Il y aura bientôt celle que va publier Philippe Forest (fin septembre, chez Gallimard). Et puis il y a les « Annales de la Société des amis d'Aragon et Elsa Triolet » qui, dans leur n° 16, viennent de livrer une chronologie des deux écrivains pendant la Seconde Guerre mondiale due au travail de Georges Aillaud. Ce dernier, en plus d'être un inlassable collectionneur-bibliophile, est un excellent connaisseur des deux écrivains. Il a déjà publié dans la même revue (n° 11) un très utile « Dictionnaire des pseudonymes littéraires de la Résistance », ainsi qu'une émouvante édition complète et originale en fac-similés des 17 exemplaires du journal clandestin « les Étoiles » dû à Aragon (aux éditions du Cherche Midi, tandis que François Eychart livrait de son côté dans le même ouvrage la reproduction des
« Lettres françaises » clandestines). La « Chronologie » des deux écrivains de 1939 à 1945 qu'il vient de faire paraître constitue une magnifique synthèse d'éléments jusque-là terriblement dispersés. Il la présente selon une organisation en tableaux (dates, faits, sources) qui constitue comme un agenda détaillé d'une grande densité. On saluera d'autant plus la minutie des recherches de l'auteur que des militants clandestins ne proclament évidemment pas urbi et orbi où ils se cachent ni ce qu'ils font et que, même longtemps après, il faut tout un travail patient de recoupements pour retrouver la trace quasi quotidienne de leurs pas. Il en résulte chez le lecteur un sentiment d'intensité devant le courage du parcours des deux écrivains dans « la nuit en plein midi » de ces années terribles. Le rôle des deux - Elsa n'est pas oubliée - est souligné tant dans l'organisation des actions (déplacements, contacts, planques, rencontres, etc.) que dans l'écriture (romans et poèmes, mais aussi tracts, articles, journaux...). Les poèmes notamment sont repérés dès la date de leur parution en revue (et donc de leur lecture par les contemporains), alors qu'on y accède bien souvent aujourd'hui par des recueils où ils ont été réunis après coup et souvent tardivement. On peut mieux comprendre - chose aujourd'hui si incroyable ! - comment la poésie a pu alors être une arme (avec des poèmes d'Aragon jetés du haut des avions anglais lorsqu'ils survolaient les villes du territoire) et comment s'y impriment les différents moments des combats libérateurs. Voilà donc un excellent
« journal de bord », livré sans bavardage mais avec méticulosité à son lecteur et qui peut captiver aussi bien le spécialiste universitaire que le « grand public » friand de découvertes et curieux de revivre l'émotion de ces journées sombres et pourtant lumineuses où des voix se levèrent pour faire renaître l'espoir et le goût de la liberté.
Bernard VASSEUR
Directeur de la Maison Aragon Elsa Triolet
À noter : projection en avant-première le 29 août du documentaire « Aragon, un écrivain dans le siècle », de Sandra Rude, pour la chaîne « Toute l'histoire », à la Maison Elsa Triolet-Aragon (Saint-Arnoult-en-Yvelines).
Entrée libre. Rens. : www.maison-triolet-aragon.com.
Tél. : 01 30 41 20 15.